[Récit] Wurn le Chercheproie

L'aide de camp du capitaine Olorion observait avec un intérêt mêlé de dégoût l'étrange épée dans le dos du draken.  Un cassien de son statut avait toujours su faire la différence entre les grades et les classes. Repérer les nobles et grands dans le peuple. Un bon moyen pour reconnaître les esprits dirigeants était l'apparence et, pour ceux qui s'épanouissaient vers les choses de la guerre, celle de leur équipement.
Ainsi, il était tout à fait à propos que son capitaine, vétéran loyal et efficace du Dominion, porte une épée fine à sa ceinture. L'arme était d’apparat, d'un acier net et sans défaut, la garde était blanche et la poignée en cuir de yéti donnait une impression de confort. Cette épée, alimentée en énergie par un petit accélérateur à fusion aux reflets bleus, faisait écho à son propriétaire dans ses caractéristiques : droiture, charisme et... Ha non... Seul le capitaine Olorion portait une moustache.

Ainsi, sur le même principe, l'épée qu'arborait le dirigeant draken renvoyait quelque chose de dérangeant et de fascinant ; il s'agissait d'une large lame taillée de manière très sommaire dans un acier noir luisant. La garde n'était qu'un morceau de métal rouillé et déformé tandis que le pommeau portait des marques de griffure. Le bord tranchant de la lame semblait bien peu affûté, portant des marques d'usure, tel un roc fatigué face à l'assaut incessant des vagues.

L'aide de camp ne pouvait voir devant ses yeux qu'un outil de mort brutal et sauvage. Et il ignorait si cette impression venait de la lame ou de son propriétaire.

Wurn. Le Chercheproie. Il s'agissait d'un draken d'une stature impressionnante malgré son dos voûté. Ses yeux d'un jaune d'or contrastaient avec la noirceur verdâtre de sa peau, son faciès rappelait celui d'une chauve-souris des mondes nocturnes de la ceinture de Tasselvan et deux cornes épaisses s'élevaient au-dessus de son crâne d'où des cheveux tressés et huileux descendaient jusqu'à son torse. Il portait une armure traditionnelle des soldats du dominion, à ceci près que les recrues basiques ne recevaient pas à leur intégration un collier de chaînes emprisonnant trois crânes humanoïdes plus ou moins décomposés en les retenant par les orbites oculaires. Ou alors la formation avait bien changé depuis le temps...!

Wurn commençait à se faire un nom dans la région. Il avait débarqué parmi les premiers sur Nexus, afin de se faire connaître et de chasser les créatures les plus dangereuses de la planète. Les deux allant de pair, cela fonctionnait plutôt bien.
Comme tout draken, il était lié au Dominion depuis le duel entre Azrion l'empereur et Zhur, le chef des clans. Mais ses yeux d'animaux, fixant Olorion depuis de longues secondes, ne montraient aucun signe de respect ou de soumission.

"Il faut attaquer maintenant. Attraper l'ennemi à la gorge et lui enfoncer les griffes dans la trachée."

Le capitaine détourna légèrement le visage face à l'haleine fétide et tâcha de demeurer digne. Sa voix calme et posée contrastait avec les grognements rauques du draken.

"J'ai bien peur qu'il ne s'agisse pas là d'une tactique militaire viable. L'ennemi est bien retranché et un assaut mènerait à des pertes non-nécessaires. J'ai envoyé une demande de bombardement depuis l'orbite du secteur. Ceci est l'affaire de quelques heures."

"Attendre ?!" Wurn attrapa la chaise sur laquelle ses griffes s'enfonçaient depuis le début de l'entrevue et l'envoya se fracasser sur un mur du préfabriqué en acier souple. "Je n'ai pas mis les pieds sur cette planète pour attendre, encore moins pour observer mes ennemis mourir loin de ma lame !"

Le capitaine se pencha sur la table, l'air calme et inflexible.

"Et bien, si vous n'êtes pas d'accord, vous pouvez toujours vous jeter dans leur tranchées et tenter votre chance."

Les crocs de Wurn claquèrent en réponse et le draken lui tourna le dos pour sortir, son moignon de queue fouettant l'air rageusement.


L'air au-dehors sentait la terre, le sang et la fumée. Le campement du dominion se trouvait à l'abri des positions exilés, sur le versant d'une crête rocheuse. Les ennemis, eux, étaient de l'autre côté. Depuis plusieurs jours, avant que Wurn n'arrive, le combat se résumait à des échanges de tirs sporadiques. Chacun tenait sa position.

Le draken revint vers les siens en maugréant. Au fil des batailles sur Nexus, les massacres s'enchaînant et les proies devenant de plus en plus dangereuses, Wurn s'était composé une bande de guerre. Des drakens qui avaient choisi de le suivre là où il allait, pour goûter le même sang que lui et se forger eux-mêmes leurs propres noms. Le nombre était inconstant mais actuellement Wurn dirigeait une vingtaine des siens. En réalité, la majorité le suivait car ils se soumettaient à sa force et à son tempérament colérique, d'autres attendaient leur heure pour le défier et espérer prendre la tête du groupe, certains honoraient simplement les traditions drakens et d'autres, enfin,  profitaient juste du bain de sang.
Lorsqu'il posait son regard sur eux, il ne voyait pas des soldats du Dominion, mais avant tout, des guerriers des clans. Les clans d'antan ; ceux qui s'affrontaient sur leur planète natale, les anciens héros. La tradition et les légendes passées importaient pour tout draken à un degré plus ou moins élevé. Wurn n'échappait pas à la règle. Pour cette raison, ignorer une opportunité de charge héroïque et priver sa bande de cela ne lui plaisait guère.

Nakjaa, son lieutenant, une draken téméraire reconnaissable à son anneau nasal, vint à lui.

"Alors ? Que faisons-nous ?"

Wurn examina la crête, puis ses drakens. Il s'avança et haussa le ton pour être entendu.

"Je veux du sang sur la terre, de l'autre côté de ce monticule. Que ce soit le nôtre ou le leur importe peu."

La phrase déclencha une série de hurlements et de poings levés. La meute allait chasser.


"Dans les tranchées ! Tout le monde dans les tranchées !"

Nakjaa hurlait tandis que les projectiles ennemis fusaient autour d'eux. Les drakens chargeaient en beuglant et déjà quelques-uns avaient succombé face à la défense adverse. Les corps dévalaient en roulant la crête, suivant Wurn même dans la mort.
Ce dernier, à l'abri derrière son heaume, ne fixait que la tranchée devant lui, le granok qui tenait un fusil pointé vers lui et l'espace qui les séparait. A cet instant, il n'était plus un membre du Dominion, il ne dirigeait plus des fous de guerres vers l'ennemi, il ne servait les intérêts de personne et n'avait aucun autre but que le massacre. Sa respiration agitée occultait les bruits autour de lui et ses crocs frottaient contre son armure de tête.

Il était un draken et ne vivait que pour ce moment.

Le défenseur fit feu sur lui. Le bouclier énergétique du guerrier encaissa le choc, et il plongea en avant. Son épée s'enfonça dans la cage thoracique du granok qui fut projeté au fond de la tranchée. Wurn le suivit dans sa chute et d'autres drakens sautèrent à ses côtés, laissant leurs cris de guerre surexcités faire écho aux bruits de combat.

Alors que l'odeur du sang montait à ses narines, Wurn se redressa en grognant et se rua immédiatement vers la cible la plus proche. Il s'agissait d'un jeune aurin qui fut promptement mis à mort. Il tourna la tête de l'autre côté, l'affichage tête haute de son casque lui indiqua la position proche de Nakjaa et de Saurel. Ce dernier était occupé à décharger ses deux énormes pistolets sur un humain infortuné. Il se hâta d'aller rejoindre son lieutenant pour faire un regroupement rapide et compter les pertes dans l'assaut.

"Avec Ildras cela fait sept !" Conclut finalement son bras droit tandis qu'ils continuaient de progresser le long de la tranchée.

Sept drakens morts au champ de bataille. Wurn nota leurs noms dans un coin de sa tête. Il fallait respecter la tradition et se souvenir des chasseurs ayant rencontré une proie plus forte. Cependant l'assaut ne pouvait s'arrêter pour eux. la chasse se devait de continuer. Ce serait une insulte à leur mémoire de procéder autrement.

Au fur et à mesure que les ennemis tombaient devant eux, le trio rejoignit le reste de l'assaut. Il n'y avait eu aucune perte de plus. Une fois que les drakens avaient mis le pied dans la tranchée, la soudaineté de l'attaque et la sauvagerie naturelle des attaquants avaient fortement influencé le bilan.

"Laissez les trophées sur place, vous récupérerez vos crânes une fois qu'ils seront tous morts ! Toska, fais pleuvoir les grenades."

Le dénommé Toska se hâta de détacher trois projectiles de sa bandoulière et les envoya par-dessus l'épaule vers la tranchée suivante. Il y eut un cri d'alerte, puis trois explosions rapprochées et un nuage de terre au-dessus d'eux.

Wurn donna le signal dans un rugissement, et les drakens sautèrent hors du tombeau qu'ils venaient de créer pour parcourir les quelques mètres qui les séparaient de l'autre tranchée. Le nuage de terre, de poussière et de sang résultant des explosions leur permit d'avancer sans se dévoiler à l'artillerie ennemie. Wurn eut un sourire carnassier sous son heaume et plongea avec une rage délicieuse dans la fosse.

"Du sang pour les clans !"

Les soldats ennemis se remettaient tout juste de l'onde de choc et des dégâts causés par les trois explosifs de Toska. Deux des leurs étaient éparpillés ici et là et un blessé tenait dans ses bras la jambe qui lui avait été sectionnée par la déflagration. Les drakens engagèrent en priorité les mieux armés, l'acier rencontra l'acier, le pistolet répondit au fusil et un ballet de mort se déroula.

Le Chercheproie asséna un violent coup d'épée à un humain qui n'eut d'autre choix que de parer. Le choc fut rude pour lui et il manqua de s'effondrer. Son adversaire renouvela l'assaut jusqu'à le mettre à terre, son énorme épée s'enfonça alors, se creusant un chemin dans la cage thoracique et réduisant l'humain au silence en une seconde. Le draken laissa son regard errer un instant autour de lui, observant sa meute remplir son rôle. La tuerie était belle à ses yeux, non pas qu'il soit d'une nature sadique ou malade, c'était simplement l'art des drakens : la guerre, le combat et le sang. Et peu d'êtres au monde étaient capables de tenir tête à une bande de berserkers comme la sienne.

Une détonation se fit entendre toute proche et avant que Wurn ne puisse comprendre, il fut cloué au sol par une chaleur écrasante. Son armure chauffa et il se sentit oppressé par la douleur. Comme si des mains enflammés venaient enserrer sa poitrine. Cela ne dura qu'un court instant et cessa subitement. Ses oreilles sifflaient et il dut retirer son heaume pour mieux voir. Nakjaa vint l'attraper et le redressa sans douceur. Une poignée de drakens gisaient au sol, carbonisés.

"Ils font feu sur leurs propres lignes pour nous faire barrage, chef." Dit-elle avec un profond dégoût dans la voix.

Wurn grogna et concentra son regard sur les pièces d'artillerie au sommet de ce fortin d'exilés, il s'agissait de vieilles pièces de guerre, qui prenaient plusieurs minutes à être rechargée. Néanmoins, les tirs étaient dévastateurs et s'ils souhaitaient arriver en haut avec un nombre suffisant pour causer un massacre, passer de tranchée en tranchée n'était plus une tactique viable.

"Chef !" Appela Saurel en courant vers lui.

Le draken venait d'un chemin de la tranchée plus à l'Ouest. Les drakens s'étaient éparpillés durant le combat, une bonne chose avec le bombardement qui venait d'avoir lieu.

"Parle." Se contenta de dire Wurn en le fixant.

"Les exilés se replient via des voies souterraines, chef. Ils scellent les portes en ce moment même !"

"Un passage à l'abri des tirs ennemis nous aiderait à porter notre fureur jusqu'au cœur de leurs lignes. Et nous n'aurions pas à nous soucier des mortiers." Remarqua simplement Nakjaa.

"Cela risque d'être difficile d'entrer cependant," poursuivit Saurel, "Des soldats tiennent leurs armes prêtes à faire feu jusqu'à ce que les sas se referment. Ils ont eu Droang alors qu'il tentait de se frayer un passage."

Wurn jeta un œil à ses troupes. Cherchant son atout dans les rangs. Lorsqu'il la vit, un sourire mauvais se dessina sur ses traits.

"Envoie Sanguine parlementer avec eux."


Le sergent mordesh fixait avec intensité l'ouverture vers la tranchée. Ses quatre hommes étaient en position, postés avec lui à l'intérieur, prêts à réduire en poussière l'insensé qui viendrait se placer à portée de tir. Des lumières jaunes clignotaient autour de la porte, prévenant de sa lente fermeture.
Le quartier-général venait d'ordonner le repli et le verrouillage des passages souterrains entre les tranchées. L'ennemi avait réussi à les infiltrer et s'il venait à prendre le contrôle des passages, cela serait catastrophique.
Le sas claqua finalement sous leurs yeux et les lourds renforcements automatisés finirent de s'installer. Le sergent se pencha sur la console pour entrer le code de commande. Maintenant, il n'y avait plus qu'à compter sur l'épaisse protection. Et elle pouvait résister à plusieurs heures d'assaut à l'arme lourde. Tout allait mieux maintenant, il se sentait en sécurité.

C'est pour cette raison qu'il fut d'ailleurs surpris en entendant un bruit de lame léger et en observant des gouttes de son liquide vitale tomber sur le panneau de commande, depuis son torse. Une griffe en acier apparut alors, sortant de son corps. Un système de camouflage, sans doute un nanoderme. La douleur vint après, et bien trop tard pour que l'information lui soit d'une quelconque utilité : il était déjà mort avant de toucher le sol.

"Et d'un, oui oui oui ! Goûte à leur sang !"

La technologie occultant la draken aux yeux des quatre hommes restants, et surpris, tomba pour dévoiler une femelle en armure sombre hérissée de pics, le visage enfermée dans un casque étrange et dérangeant ne laissant voir que ses yeux rouge sang et des crocs pointus. Deux longues griffes tordues comme des serpents sortaient de bracelets lourds fixés à ses bras, et elle se tenait voûtée en avant, les avant-bras le long du corps.
Elle ressemblait à une harpie. A une étrange expérience pour fusionner la bête sauvage et l'humanoïde, elle aurait pu hanter les cauchemars de nombreux aurins... Ou d'enfants des autres races.

Elle montra les crocs, ses yeux malades fixant ses proies.

Les soldats se ressaisirent alors percevant sans mal la menace que représentait la femelle. Mais ils n'avaient pas fait un mouvement qu'elle plongeait sur eux avec une agilité surnaturelle. Ses lames heurtèrent les deux soldats les plus proches au niveau du cou, creusant la chair dans une gerbe de sang et neutralisant les deux malheureux, qui lâchèrent leurs armes pour s'effondrer, les mains sur la blessure mortelle.
Sans prendre la peine de s'arrêter, elle freina son assaut pour bloquer un coup de crosse dans sa direction avec ses brassards. Le dernier soldat arma alors son fusil pour tirer à bout portant sur elle, mais d'un mouvement elle attrapa l'infortuné qui venait d'établir un contact avec elle pour le jeter sur le tireur. Une détonation résonna alors que la balle s'encastrait dans un mur.
Les deux soldats encore en vie n'eurent pas le temps de se redresser, que déjà la draken était à nouveau sur eux. Sa paume vint frapper l'arrière du crâne du premier, tandis que la lame en-dessous réduisait à néant l'intégrité de sa nuque.
L'unique soldat survivant eut à peine le temps d'avoir peur, qu'un filet se déployait dans sa direction, lancé depuis un petit canon sur l'armure de la tueuse. Il tomba au sol, tentant de se débattre, pris au piège et impuissant.

"Oui oui... Du sang pour les lames. Bons gibiers... Oui..."

Sanguine se redressa et prit le temps d'examiner la voie souterraine, guettant d'éventuelles autres victimes. Finalement déçue de ne rien voir venir, elle se dirigea vers la console de commandes des sas, afin de composer le code que le mordesh avait tapé sous ses yeux.





Lorsque l'énorme porte se déverrouilla, Wurn et ses drakens étaient déjà rassemblés. Ils se hâtèrent donc de franchir le sas pour se mettre à l'abri des tirs d'artillerie.
Le Chercheproie croisa le regard de Sanguine, qui se tenait à califourchon sur un prisonnier apeuré, tandis qu'elle jouait de ses lames tout contre son visage.

"Finis ça, nous n'avons pas le temps de jouer."

Elle grogna dans sa direction, visiblement déçue d'arrêter sa torture, et plongea sa lame dans le cœur du captif qui couina une dernière fois avant de s'immobiliser.

Le chef fit quelques pas dans le passage, se plaçant devant les drakens encore en vie. Il n'en restait qu'une poignée, des fidèles qui avaient honoré les traditions des leurs au plus haut point. Pour toute autre race, le sous-effectif flagrant aurait été synonyme de retraite. Pour Wurn et ses drakens, cela signifiait se battre avec une force renouvelée. Faire face au défi.

Wurn laissa son regard féroce parcourir le visage de chacun des siens. Il voyait en eux la même envie de massacre, l'attente fébrile du combat, de l'affrontement. Le moment où l'adrénaline serait à son comble et où leur destin se jouerait. À aucun autre endroit un draken ne pourra se sentir aussi vivant qu'au plein cœur d'une bataille.
Lui-même n'en pouvait plus. Il voulait en découdre avec l'ennemi.

Alors, sans plus attendre, il se mit à courir.




D'un revers de lame, Wurn décapita un esper qui s'apprêtait à lancer sur lui un sortilège dangereux. Il avait toujours détesté ceux qui manipulaient la réalité pour la déformer à leur avantage. C'était lâche et indigne. Fort heureusement, aucun draken ne s'abaissait à cela.
Les premiers soldats avaient été surpris lorsque la porte lourde s'était ouverte pour dévoiler un groupe de drakens armés jusqu'aux dents. Ils n'avaient offert aucune résistance, l'effet de surprise avait fortement aidé.
Wurn et ses fous de guerre débarquaient jusque dans les hauteurs du camp fortifié, là où les pièces d'artilleries tonnaient. L'endroit ressemblait à un bunker sans toit, empli de fumée et d'odeur de poudre. Les énormes machines de guerre occupaient la majeure partie de l'espace, et d'épaisses caisses de ferrailles contenant des munitions plus hautes qu'un chua étaient rassemblées au centre du lieu. Un centre de commandement de fortune avait été dressé à l'un des angles de la pièce, des holo-cartes, des verres et une bouteille y traînaient. Bien sûr, en plus de tout cela, il devait y avoir une vingtaine d'exilés dans la pièce.
Les servants couraient partout tandis que les exilés armés tentaient de former une ligne de défense autour des canons rendus inutiles.
Avec cette confusion, le groupe du Chercheproie progressait encore plus facilement. Leurs adversaires ne se couvraient pas et œuvraient chacun pour se protéger plutôt que pour protéger leur voisin. Les drakens n'avaient plus qu'à choisir leurs cibles, lever leurs armes et faire couler le sang. Et avec le voile de fumée dû aux tirs d'artillerie, le chaos n'était que plus important.

Les cris de guerre des drakens répondaient à ceux des exilés, mais l'assaut sauvage semblait fortement l'emporter sur la défense désespérée, alors que certains soldats reculaient à la vue du massacre qui se perpétrait sous leurs yeux. Ceux en première ligne subissaient les assauts des lames, des pistolets et des fusils, une déflagration sur le côté Ouest indiqua même la présence d'engins explosifs.

Le maréchal Rodridge promena son regard colérique sur cette attaque en règle. L'ingénieur granok avait été chargé par le commandement exilé de tenir cette place contre l'avancée du Dominion, et il comptait bien faire son maximum pour cela, même s'il lui en coûtait la vie.
Il s'avança, quittant sa position pour se porter au combat, dans son armure lourde et technologique et déploya quelques tourelles pour venir en assistance à ses troupes.
Un premier draken se jeta sur lui, il l'arrêta en le saisissant à la gorge et à l'aide de son gantelet aux servomoteurs puissants, lui broya la nuque avant d'envoyer le cadavre par-dessus la muraille.
Les drakens semblaient être en proie à la fureur la plus bestiale, comme galvanisé par l'affrontement, ou par un meneur charismatique...
Le regard de Rodridge se stoppa sur un grand draken en armure, maniant une longue et morbide lame, semblable à un morceau d'acier noir brut. Il évoluait au plus fort de l'assaut, et semblait observer la progression des autres drakens. C'était leur chef. La tête à sectionner.
Récupérant un cadet qui venait de trébucher en esquivant une balle, Rodridge se mit à charger en direction de sa cible.

Le mordesh devant Wurn tenta de reculer pour se mettre hors de portée des larges moulinets qu'il effectuait. C'était sans compter sur le canon d'avant bras du draken : d'un mouvement, un harpon de combat se déploya pour aller se ficher dans l'épaulière du grand et fin humanoïde, qui fut alors attiré  à portée de la lame et promptement mis à mort.
Le chef draken n'eut pas le temps de chercher une autre cible qu'elle se présenta d'elle-même sous la forme d'un énorme bras de fer heurtant sa tempe de plein fouet. Malgré ses appuis solides, le choc envoya le draken au sol. L’œil du côté du choc était trouble, et la douleur résonnait encore dans son crâne entier, alors qu'il savait déjà que sa mâchoire était probablement cassée.
Le géant de fer et de pierre se tint au-dessus de lui, et Wurn se força à le regarder avec défi. Autour de lui, le bruit de la bataille emplissait toujours l'air, les senteurs cuivrées du sang venaient jusqu'à ses narines. Le granok dirigea son fusil vers sa tête. Le guerrier hurla de rage dans sa direction, vidant ses poumons pour que ses dernières secondes passées dans ce monde soient emplies de sa fureur.

Une première détonation, suivit d'une deuxième, plus douloureuse.

Wurn ne voyait plus, et son crâne le faisait maintenant terriblement souffrir. Il sentait l'odeur de chair brûlée et le côté gauche de son visage était comme en feu. Il porta la main vers son œil et ne sentit que de la sueur entre ses doigts, beaucoup de sueur. En ouvrant l'autre, il vit qu'il s'agissait de son sang.

Saurel faisait toujours feu avec ses lourds pistolets, déchaînant ses balles et ses pouvoirs pour obliger le granok à reculer. Le premier coup, puissant et préparé, avait fait mouche au bon moment, déstabilisant l'ingénieur, qui avait tiré sur le côté, n'emportant qu'une partie du visage de Wurn, au lieu de lui ôter la vie. Maintenant, ce dernier tentait de se protéger de la tempête de plomb et d'arcanes du draken aux armes de poing massifs. Les balles se heurtaient à l'armure blindée, mais le choc et l'ajout des puissances mystiques ne permettaient pas à Rodridge de se stabiliser suffisamment pour répliquer à l'aide de son arme.
L'arcanero maîtrisait parfaitement ses facultés, visant et pressant la détente en moins d'une seconde, le hurlement d'acier de ses canons ne semblait pas avoir de fin, tandis qu'il progressait lentement, pas après pas, gardant son attention sur la cible.
Un soldat exilé voulut se porter à l'aide du granok, Saurel eut juste à légèrement dévier l'axe de tir de son arme gauche pour que l'inconscient soit repoussé en arrière, la jambe en morceaux.

Wurn sentit des mains solides le forcer à se remettre sur pied. Son œil valide lui renvoya le visage tâché de sang de Nakjaa. Le Chercheproie ne se sentait pas très bien, la douleur était difficilement supportable. Il dut lutter pour ne pas vomir sous le choc, persuadé d'avoir perdu son œil et une bonne partie de son visage.
Ce qui lui restait de regard se posa alors sur le granok, qui se remettait des tirs de Saurel, occupé à recharger.

Une rage noire l'emplit, la rage d'un peuple guerrier, celle de la bête de guerre. Repoussant son lieutenant, il se saisit de son arme et rassembla toutes ses forces pour se diriger vers l'ingénieur. Son heaume était en pièce et avec tout ce sang sur son armure, et le sien gouttant de sa plaie béante, il ressemblait plus à un mort-vivant qu'à autre chose.

C'est ce que dut se dire Rodridge, lorsqu'il redressa la tête après avoir tenté de redémarrer les systèmes de son armure. Il tomba nez à nez avec la fureur personnifiée. Les crocs de Wurn s'approchèrent de lui. Il leva le bras pour tirer, mais d'un mouvement d'épée, sa main fut emportée avec son fusil. Il hurla de douleur et tomba à genoux.

Il ne restait que lui dans le camp des exilés. Lui et six drakens. Le reste n'était que cadavres ensanglantés ou victimes agonisantes en passe de devenir les jouets de Sanguine. Le maréchal balaya du regard le lieu, tout ceci avait été accompli par une meute de tueurs, malgré leurs défenses, l'ennemi était victorieux.

"Monstres... Vous n'êtes que des chiens au service du Dominion !"

Le Chercheproie se pencha légèrement, trouvant la force de répondre :

"Nous sommes les enfants de la guerre, les fils et filles des traques sauvages, et ton sang ira aux clans, comme celui de tous les tiens."

"Si tu es un fils, c'est celui d'une p..."

La lame noire décrivit un large arc-de-cercle avant de couper littéralement la parole au maréchal.

Le silence s'installa, et Wurn se mit à genoux. La douleur l'emportait sur l'envie de sang, et il se sentait faiblir, fait qui le mettait hors de lui. Cependant, un peu de satisfaction emplissait également son être. Il voyait déjà le visage effaré du cassien Olorion, lorsqu'ils reviendraient lui présenter la tête du Granok et lui remettre le contrôle du fortin exilé. Il passerait pour un monstre, la représentation de la violence et de la mort, pour avoir laissé plus de la moitié de ses drakens mourir dans un assaut inutile.

Mais peu de gens pouvaient comprendre son peuple. Peu importaient les victimes, la tactique employée ou les méthodes de mises à mort. Le récit de l'assaut du fortin allait faire le tour du secteur, et serait relayé par des voyageurs jusqu'aux oreilles des drakens présents sur Nexus. Tous entendraient l'histoire prodigieuse de cette bande de guerre et de ses morts, ayant vécu leurs derniers moments dans l'intensité de la bataille.

C'était le rêve d'un draken : la renommée et la guerre. Et bientôt, des centaines allaient accourir pour suivre Wurn le Chercheproie. Il se redressa, et examina sa lame noire, étalant le sang d'une griffe. Il lui fallait maintenant recommencer ailleurs, afin de pouvoir revivre les instants palpitants d'une bataille, de sentir son pouvoir sur la vie et la mort, et peut-être de connaître l'apothéose, le cuir criblé de balles, sur une colline de dépouilles.

C'était le rêve d'un draken. C'était le rêve de Wurn.

Les clans avaient été honorés. Nexus allait brûler.